La chaîne du Grand Caucase sépare les républiques autonomes du piémont nord restées volontairement ou non au sein de la Fédération de Russie (comme par exemple la Tchéchénie), de la Géorgie. Cette frontière " naturelle " serait simple à respecter s’il n’y avait pas les Ossètes ! En effet, cette même chaîne sépare en deux les pays des Ossètes, avec au nord, la République de l’Ossétie du Nord / Alanie (capitale : Vladikavkaz, en russe ; Dzaudjikau, en langue ossète), non indépendante, faisant partie de la fédération russe depuis le 9 avril 1991, et, en piémont sud, l’Ossétie Sud qui s’est proclamée république sécessionniste par rapport à la Géorgie.
L’Ossétie est ainsi nichée au coeur de la chaîne du Grand Caucase, de part et d’autre du mont Elbrouz aux neiges éternelles, son point culminant (5642 m), et est un tout petit pays divisé entre deux Etats. Les Ossètes contrôlent le grandiose défilé du fleuve Terek, désigné par les Anciens comme étant les "Portes sarmates", qui permet de franchir la chaîne montagneuse.
L’Ossétie du Nord (armoirie de gauche) compte 650 000 habitants environ, les Ossètes y représentant 62% du total, les Russes, 27%; Kabardes, Balkars, Ingouches, Avars et Tchétchènes, composent les 11% restants. De nombreux Russes vivent dans la capitale ; beaucoup demeurent également dans le district de Mozdok, curieuse protubérance au nord de l’Ossétie où ils cohabitent avec les Ossètes et d’autres minoritaires. Les Ingouches sont surtout présents dans le district de Prigorodnyi, à l’est de Vladikavkaz, territoire d’où ils furent chassés en 1944 par les Soviétiques qui les accusèrent de s’être alliés aux Allemands lors de la dernière guerre et remplacés par des Ossètes, puis par la guerre Ossètes-Ingouches de 1992-1993.
L’Ossétie du Sud (armoirie de droite, chef-lieu : Tskhinvali) est une simple région de la République de Géorgie, dite officiellement "Shida Kartli" (Géorgie centrale). Elle a perdu l’autonomie dont elle jouissait depuis 1922, du temps de l’Union soviétique. En effet, dès la fin de 1990, année de l’indépendance géorgienne, le Parlement géorgien abolit le statut territorial particulier (Républiques et Région autonomes) des peuples minoritaires (Abkhazes, Adjars - des Géorgiens musulmans - et Ossètes). On dénombre 100 000 habitants aux deux tiers ossètes ; le tiers restant se compose de Géorgiens, implantés principalement dans le chef-lieu et dans les districts de Znaouri et Aghalgori. Cette suppression d’autonomie a entraîné une révolte des habitants en 1991-92, accompagnée de part et d’autre d’une " purification ethnique ".
drapeau de la république de l'Ossétie Nord / Alanie (bandes horizontales : blanche, rouge jaune), adopté également par les Ossètes du Sud.
Or on a à faire à une ethnie consistante, fière de son histoire : les Ossètes sont en effet les descendants des prestigieux Scythes et autres Sarmates de l’Antiquité, à savoir des peuples iraniens nomades qui dominèrent des siècles durant la Russie méridionale.
Parmi eux, les Alains (ou Alans) avaient bâti un empire près de la mer Caspienne, disloqué en 375 par l’invasion des Huns. Les uns partirent en Hongrie (appelés localement " Yas ", ou Yasi pour les Slaves), les autres accompagnèrent les Vandales vers L’Andalousie et l’Afrique du Nord, les autres se réfugièrent dans le Caucase où ils se mêlèrent à des populations locales pour donner les Ossètes d’aujourd’hui. Ces derniers ont connu un temps un puissant Etat féodal, dominant le Caucase, qui fut détruit au XVIIIè par les Mongols de Gengis Khan.
On ne peut que déplorer le manque actuel de dialogue politique entre Géorgiens et Ossètes : ces populations ont pourtant cohabitées ensemble, ont pratiqué les unions mixtes, sont de la même religion orthodoxe (les Ossètes reconnaissent le patriarcat de Tbilissi)*, 50 000 vivent à Tbilissi et dans la région de Gori, au sud de l’Ossétie, etc.
* islamisés au XVIIème s., par leurs voisins kabardes, 25% des Ossètes (surtout dans le Nord) professent un islam sunnite marqué par l’influence modératrice du soufisme
Mais voilà, les Ossètes sont pro-russes. Leur vassalisation a été entérinée par le traité de Kutchuk-Kaïnardji (1774), signé par le tsar et le sultan ottoman. Ils utilisent le cyrillique (d’une façon majoritaire depuis 1954). Ils sont nombreux à s’être illustrés dans les armées russes puis soviétiques. Staline était fils d’un géorgien de Gori et de mère Ossète.
Avec Gorbatchev et la perestroïka, l’Ossétie du Sud commence à s’agiter. Ses représentants, rassemblés dans un Front populaire ossète (Ademon Nykhas), demandent son rattachement à l’Ossétie du Nord. Pour eux, il est clair que son identité culturelle sera plus facile à défendre au sein de la Grande Russie que dans le cadre d’une Géorgie gagnée par la fièvre nationaliste. Durant le printemps 1992, le siège de Tskhinvali par les sinistres milices des "mkhedrioni" (les"chevaliers") s’avère aussi terrible que celui de Sarajevo, la couverture médiatique en moins.
Après un cesser le feu obtenu sur pression des Russes, les nationalistes procèdent à un référendum en 1992, puis décident unilatéralement de l’indépendance de leur pays en 1994. Le 18 décembre 2001 un nouvel Etat se forme avec un président et une capitale, Tskhinvali. Second référendum le 12 novembre 2006.
Ce 8 août 2008, l’armée géorgienne entoure la ville et la détruit par des tirs d’artillerie faisant de très nombreux morts et provoquant l'exode des populations. L’armée russe intervient, bombarde la ville géorgienne de Gori et le port de Poti, sur la mer Noire, site clef pour le transport de ressources énergétiques de la mer Caspienne vers l'Europe, et envoie des colonnes de chars pour libérer la capitale ... et accroître leur emprise. Les Abkhazes, d’une autre ex-république autonome de l’ère soviétique, profitent quant à eux de l’occasion pour conquérir une ultime partie de leur territoire, les gorges de Kodori, ... avec l'aide de l'aviation russe.
Arrivée à ce point de catastrophes, on se demande qu’elle a été l’objectif des nationalistes géorgiens ? On ne peut faire pire : continuer à se mettre à dos des populations qui font partie en principe de l’Etat géorgien ; donner la vedette à l’Ossétie du Sud, dont l’indépendance n’avait été reconnue par aucun autre pays, pas même par la Russie, en en faisant un peuple martyr ; raviver les nationalismes de ses autres minorités ethniques ; hypothéquer son seul débouché sur la mer Noire ; s’attirer les foudres de l’impérialisme russe et faire bombarder ses infrastructures ; manifester l’impuissance des alliés européens et américains de la Georgie qui ne peuvent intervenir militairement, etc.
A quoi jouent les nationalistes ? Les historiens auront du pain sur la planche pour expliquer ce qui a pu motiver cette initiative géorgienne (au delà du droit international concernant les frontières étatiques qui veut qu'un gouvernement ait le "droit" d'intervenir pour mettre fin à une sécession).
En souhaitant une Ossétie réunie et libre, par exemple au sein d’une fédération des peuples du Caucase, les Géorgiens auraient assurément mis les Russes dans le plus grande des embarras, du moins renvoyée la balle dans le camp des impérialistes ex soviétiques.
Pour écrire cette note, nous nous sommes largement inspirés de l’article de Jean-Louis Veyrac, décembre 2004, http://www.ben-vautier.com/ethnisme/analyses/regions/ossetie.html. A consulter pour en savoir plus, avec une carte ethnique à l’appui.
Pour un rappel chronologique plus exhaustif du conflit depuis 1989, voir l’article de l’Agence Presse (Paris) en date du 9 août 08 http://fr.news.yahoo.com/ap/20080809/twl-georgie-ossetie-russie-chronologie-091cf94.html
Additif du 13 août 08 : pour une vue d'ensemble des pays du Caucase, voir l'infographie animée publiée le mercredi 13 août par le journal en ligne de La Croix http://www.la-croix.com/documents/doc.jsp?docId=2346385&rubId=1306 .Egalement le site http://www.caucaz.com aidé financièrement par l'ambassade de France en Géorgie et qui s'appuie sur des recherches d'universitaires français dans la région (site présenté dans La Croix.com du 13 août).