Les monothéismes abrahamiques mettent en avant la connaissance d’un dieu qui se serait révélé (de préférence à ses ancêtres nationaux ! Hébreux puis Juifs pour la Bible, Arabes pour le Coran). La théologie consiste à mieux connaître ce dieu qui est considéré comme le dieu créateur de l’univers et qui serait le seul dieu existant – ce pourquoi on l’écrit avec une majuscule, Dieu.
Les cultes de l’Antiquité mettaient en avant les rites divinatoires, expiatoires, protecteurs, etc. , de façon à se concilier les dieux – tous les dieux -, y compris le dieu inconnu des Athéniens en qui Paul feignit trouver celui des Juifs et des chrétiens. La méprise est donc totale entre les monothéistes et les " païens ".
C’est ce qu’expliquent les professeurs Philippe Borgeaud (université de Genève) et Francesca Prescendi (université de Lausanne) dans des cours sur l’histoire des religions antiques.
Philippe Borgeaud : " Ce qui domine la religiosité antique, c'est le rite. Les Anciens respectaient les pratiques religieuses, mais n'avaient pas l'obligation de croire à leurs mythes. Ils pouvaient être des pratiquants non croyants. Ils n'avaient ni credo ni dogmes. Le mythe était un commentaire infini et souple sur le rite, et il en expliquait les origines. Il n'y avait jamais une seule explication, mais plusieurs, sans qu'on soit jamais obligé de choisir entre les unes ou les autres. Les Anciens n'étaient pas dans la croyance mais dans la pratique heureuse de la diversité des interprétations. C'était le rite qui produisait le sens, pas la doctrine.
– Il y avait pourtant des formes de théologie.
– Oui, les discours théologiques existaient, mais ils étaient secondaires et contradictoires. Il y avait par exemple plusieurs cosmogonies. La croyance s'exprimait à l'intérieur des rites, et pas dans la théologie. Les rites étaient à eux seuls porteurs de sens, et ce sont eux qui créaient les dieux. Si les Anciens savaient qu'ils devaient pratiquer des rituels, ils ne savaient pas en revanche qui étaient exactement les dieux. Cela leur échappait. La notion de vérité théologique n'existait pas.
– Dans ce cas, la tolérance religieuse devait être grande.
– Oui. On pouvait dire tout ce qu'on voulait des dieux et douter ouvertement de leur existence. L'Antiquité était un laboratoire de liberté. Les divinités des autres peuples étaient immédiatement reconnues et identifiées à des dieux autochtones. "
Entretien paru dans le journal Le Temps (Genève) du 20 mars 2007, http://www.letemps.ch/template/societe.asp?page=8&article=202691