par Paul Pistre (historien) et Jean Rigal (théologien). Ce texte a été adressé à la Présidence des évêques de France, à la Nonciature de Paris, à la presse catholique (La Croix, Témoignage chrétien, La Vie, Le Pèlerin, Etudes, Projet, Lettre des Semaines sociales) et autres (Le Monde, Libération), au Service incroyance - foi (SIL) qui est la cellule française du Secrétariat pour les non-croyants (fondé en 1965 au lendemain de l'encyclique de Paul VI Ecclesiam suam, 1994) et à quelques autres mouvements connus ; il a été transmis à la Correspondance unitarienne le 17 septembre 2013.
Paul Pistre diffuse une Lettre aux catholiques amis des maçons à quelques 150 destinataires. Il est l’auteur en 2002 de Les Francs-Maçons à Toulouse : des acteurs bien présents, aux éditions F. Loubatières, et en 2011 de Catholiques et francs-maçons. Eternels adversaires ? aux éditions Privat ( lien)
Né en 1929, Jean Rigal, prêtre du diocèse de Rodez, est un théologien spécialiste des questions relatives à l'Église. Professeur d'ecclésiologie pendant vingt-cinq ans à la faculté de théologie de Toulouse, il a animé de multiples sessions en France et en différents pays. Il est l'auteur de nombreux articles et d'une quinzaine d'ouvrages (sa présentation aux éditions du Cerf, lien).
La sanction qui a frappé le curé de Megève, Pascal Vesin, a ému les Français. L’opinion publique pendait que les esprits étaient apaisés, et dans les deux camps. La décision de la Curie romaine montre qu’il n’en est rien. L’accusation de « péché grave » contre tout maçon est insupportable.
L’idée la plus répandue est que le conflit séculaire Eglise / franc-maçonnerie (FM) comporte tant de critiques et de condamnations qu’il est illusoire de s’attendre à un changement sérieux. L’affaire de Megève nous invite à dépasser un conflit local et à nous interroger plus largement sur un éventuel dialogue entre catholiques et maçons.
Depuis un demi-siècle, les catholiques ont vu se transformer leurs relations avec toutes les familles spirituelles : avancées sérieuses avec les protestants et les juifs, plus limités avec les musulmans et les bouddhistes, voire avec quelques athées. Et pourtant, durant des siècles, que de critiques et de condamnations entendues, suivies parfois d’expéditions sanglantes ! Des contacts discrets, humbles ont été entrepris. Peu à peu, les mentalités ont évolué. Le climat de ces rencontres était le respect mutuel, sans souci de conversion ou de prosélytisme. Chacun se trouve heureux de ces transformations qui se poursuivent.
La FM de 2013 n’est plus celle de la IIIème République. En France, aujourd’hui, elle est très importante, avec 160 000 membres ; mais elle est divisée en de multiples obédiences. Ainsi, le Grand-Orient, qui jadis comptait la très forte majorité des frères, en rassemble désormais 50 000. Les différences entre obédiences tiennent souvent aux positions philosophiques ; les unes se veulent « adogmatiques », d’autres ont une spiritualité plus ouverte. Existe même un Grand prieuré des Gaules qui s’affirme FM chrétienne.
De plus en plus, en toute loge, aucune philosophie unique n’existe, même si des valeurs communes sont revendiquées : fraternité vécue en loge, recherche personnelle de la vérité, engagement citoyen, attachement à la laïcité, etc. Chacun se rend compte que toutes les mentalités sont présentes, hormis les partis extrêmes.
Pour faire bref, on peut dire que la FM française n’est plus celle de 1900. Elle n’en demeure pas moins une famille spirituelle originale. L’Eglise aussi a nettement évolué. Est oublié le Syllabus, 1864, qui condamnait tout ce qui se prétendait moderne. Nous vivons après les avancées de Vatican II, les deux rencontres d’Assise et avec le pape François qui demande qu’on aille vers « les périphéries de l’Eglise » …
Pour quels motifs l’Eglise catholique condamne-t-elle la FM ? Le premier motif est d’ordre historique. Ces deux institutions se sont livrées, au cours des siècles, des combats acharnés qui ont marqué, en profondeur, leurs relations et altéré tout désir de dialogue. Dans le Code de droit canonique de 1917, les francs-maçons étaient excommuniés. Le Code de 1983 déclare : « Qui s’inscrit à une association qui conspire contre l’Eglise sera poursuivi d’une juste peine ; mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera poursuivi d’interdit » (Ca. 1374). La même année, le cardinal Ratzinger, alors président de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ajoutait que les fidèles qui s’inscrivent à la FM « sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion ». Ce durcissement semble contredire les ouvertures du concile Vatican II et les réflexions récentes du pape François : « Quand l’Eglise se ferme, elle est malade ».
L’un des buts premiers de la FM est de promouvoir un perfectionnement intellectuel, moral et spirituel à partir des seules forces humaines. Mais sans tomber dans un relativisme absolu, la recherche personnelle de la vérité est-elle incompatible avec l’aide d’une Révélation ?
Le maçon accorde une large place à la raison dans la recherche de la vérité. Mais foi et raison ne sont nullement incompatibles. Au contraire, l’une interroge l’autre. Selon la formule du concile Vatican I (1869-70) : « la foi et la raison s’aide mutuellement ». Quant au concile Vatican II, il associe « la liberté de conscience » et « la recherche de la vérité ». Quelle expérience en ont les catholiques maçons ?
Un troisième aspect retient notre attention. Il concerne l’adhésion aux dogmes. On sait que beaucoup de maçons se veulent « adogmatiques ». Peut-être est-il utile de rappeler que la foi ne porte pas sur des formules dont l’expression demeure forcément liée à un contexte, mais sur la découverte de « Quelqu’un ». Qu’en pensent les catholiques maçons ?
Comment avancer dans le dialogue ?
Du côté catholique, connaître et reconnaître les importants changements que la FM a opérés au cours de ces dernières décennie. Etre attentif à sa grande diversité. L’ignorance reste un obstacle majeur à un éventuel dialogue. Susciter des rencontres amicales où catholiques et maçons font part de ce qui les anime.
Du côté des obédiences maçonniques : promouvoir une laïcité ouverte, attentive au bien commun, loin des lobbies influents, au service d’un monde juste et fraternel ; considérer « les problèmes de société » en référence à la dignité humaine, où tous les hommes de bonne volonté devraient pouvoir se rejoindre, pour s’écouter d’abord et agir ensemble.
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