le témoignage de Régis Pluchet (Le Mans)
On parles des prêtres mariés, mais il y a aussi des prêtres qui vivent en couple sans être mariés, et qui ont parfois des enfants ! Cela peut être une vie de scandale, mais aussi une vie amoureuse lestée du poids de la culpabilité et de la clandestinité et si certains quittent l'Eglise pour sortir de cette situation, pour d'autres cela peut aboutir à une rupture, qui laisse souvent des femmes dans une situation extrêmement difficile.
Je descends moi-même d'un prêtre. Cela remonte loin, c'est une histoire belge, mais c'est une histoire vraie. En 1782, Ferdinand Arnold qui vient d'être ordonné à l'âge de 24 ans est prêtre à Liège, il sera curé à Huy quelques années plus tard. Sa mère lui sert de gouvernante, mais après la mort de cette dernière, c'est Anne-Josèphe Cornet, une jeune paysanne de 16 ans, qui la remplace dans cette fonction. Des enfants ne vont pas tarder à naître de cette rencontre, dont les premiers semblent avoir été élevés par les grands-parents maternels.
Une situation assez courante à l'époque. A l'automne 1792, la France occupe la Belgique qui sera bientôt intégrée à notre pays (jusqu'en 1815). Ferdinand qui est désormais un prêtre assermenté peut vivre sa liaison au grand jour avec Anne-Josèphe. En 1801 Bonaparte signe le Concordat avec le Vatican qui permet entre autres la réintégration dans l'Eglise catholique des prêtres assermentés ou la réduction à l'état laïque de ceux qui se sont mariés, ce qui sera aussi le cas de Ferdinand Arnold, qui se marie en 1802 et devient juge, passant d'une robe à l'autre. Ils vécurent heureux et eurent neuf enfants. Leur fille Julie, née en 1804, était la grand-mère de mon arrière-grand-mère venue épouser un Français.
C'est ainsi que se termine mon histoire belge. Mais des histoires comme cela, il y en a eu plein qui ne se sont pas toujours déroulées comme des contes de fées. L'une de mes amies, septuagénaire, est la fille d'un prêtre qui a été éloigné par sa hiérarchie peu avant la naissance. La mère s'est mariée quelques temps après et l'histoire a été cachée, ce n'est qu'à la cinquantaine que mon amie a su (ce dont elle se doutait) qu'elle n'était pas la fille (biologique) de celui qui l'avait élevé, portant sur elle jusque là le poids d'un secret qu'elle ressentait sans pouvoir le percer. Elle a pu retrouver les traces de son père prêtre, pour découvrir qui il était quelques années après la mort de ce dernier.
Compagnes et enfants de prêtres vivent souvent une grande souffrance. L'association Plein Jour (lien) qui regroupe des compagnes de prêtres a pu faire entendre publiquement leurs témoignages.
Mais les témoignages des enfants de prêtres sont plus rares : l'Express leur a consacré une enquête poignante et édifiante il y a quelques années. On peut y lire, notamment, le témoignage de Luc, ce fils d'un prêtre, religieux dominicain, assez connu dans les milieux de la recherche spirituelle et dont les convictions et l'engagement personnel auprès des plus démunis ne sont ici pas mis en cause (lien). Mais les procédures intentées par des enfants de prêtres à l'encontre de l'Eglise se multiplient et feront sans doute la une des journaux d'ici quelques temps.
ajout du 8 juillet :
L'histoire de mon "quinquaïeul" (cinq générations en partant de ma grand-mère) prêtre est un peu une anecdote amusante : car à cette génération, j'ai environ une soixantaine de quinquaïeuls ... Mais cela n'a sans doute pas été facile pour lui : j'ai lu par exemple l'émouvante lettre de repentance qu'il a dû écrire pour être réduit à l'état laïque. C'est une histoire qui est restée longtemps cachée et n'a été découverte qu'il y a une vingtaine d'années par de (très) lointains cousins belges qui en sont aussi les descendants. Cela me semble une excellente illustration de l'ancienneté du problème dans l'Eglise catholique.
Signalons par exemple l'histoire de Robert d'Arbrissel (vers 1047-117), fondateur de l'ordre de Fontevraud, un ordre hors du commun qui comptait des couvents d'hommes et de femmes, mais dont l'ensemble commandé par des femmes, cas unique où les hommes sont soumis aux femmes dans l'histoire monastique (chrétienne). Robert d'Arbrissel était fils et petit-fils de prêtre et avait sans doute eu une compagne avant de devenir ermite, à une époque où le mariage des prêtres n'était pas interdit mais commençait à être très mal vu et sa vocation pourrait s'expliquer en partie par un sentiment de culpabilité à ce sujet.