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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 12:12

emile_mihiere.jpgEmile Mihière, 2011, « Tous les chemins ne mènent pas à Rome », Paris, L’Harmattan, 160 pages, collection « Graveurs de Mémoire », 15,50 €, sorti en février ; compte-rendu de Jean-Claude Barbier


L’article de Wikipedia en français sur l’anarchisme chrétiens (lien) cite un certain nombre de penseurs connus : Léon Tolstoï (1828-1910) , Teilhard de Chardin (1881-1955), Ammon Hennacy (1893 – 1970), Théodore Monod (1902-2000), Emmanuel Mounier (1905-1950), Jacques Ellul (1912-1994), Jean Cardonnel (1921-2009), Ivan Illich (1926 - 2002). On pourrait aussi penser à la belle indépendance d’un Charles Péguy (1873-1914), à la rébellion d’Alfred Loisy (1857-1940) contre son Eglise, etc.


Emile Mihière cite quant à lui, dans son livre, Jésus et le dominicain "rouge" Jean Cardonnel. Mais il aurait pu en citer beaucoup d’autres. Oralement, lui et moi, nous avons évoqué le pasteur belge Pierre Bailleux (1942-2008) (depuis E. Milhière a mis par écrit sa rencontre passionnée avec lui, lien) et le pasteur Roger Parmentier (1918 - ). C’est dire qu’il se situe dans une lignée qui revendique un anarchisme au sens noble du terme, en référence à Jésus, ou du moins un prophétisme dénonçant les hypocrisies humaines et institutionnelles et nous rappelant aux exigences évangéliques.


Cet anarchisme n’est pas seulement fait de coups de gueule, de saintes colères, ou encore de gestes iconoclastes. Ce sont là, en effet, des faits qui peuvent très bien restés isolés et témoigner seulement d’une forte personnalité. Mais au delà des évènements saillants que l’on aime se raconter comme des exploits – et Emile Mihière, avec son regard facétieux des bons tours joués, n’est pas avare de nous en donner dans son livre – c’est toute une philosophie, un positionnement vis-à-vis de soi et de la société. C’est en cela que son livre est précieux : l’auteur est d’une race qui non seulement n’a pas la langue de bois, mais qui n’a pas froid aux yeux. A l’heure où une nouvelle pensée unique est entrain d’envahir tant la vie religieuse que politique, son témoignage a valeur de décharge électrique.


Comment peut-on définir cet anarchisme ?


Il y a d’abord l’affirmation que la vérité doit être dite quoi qu’il en coûte. Fini la crainte du qu’en dira-t-on qui paralyse tant nos sociétés bien pensantes. Il n’y a pas là question de compromis, même s’il faut perdre son emploi professionnel et mettre sa famille en précarité – et l’auteur connaîtra en conséquence une véritable itinérance à ce niveau : prêtre catholique, puis pasteur protestant, puis au sein même du protestantisme des changements d’affectation car son franc parler ne plait pas forcément aux ouailles, que ce soit dans le cadre d'une fonction pastorale ou d'aumônerie. Et lorsqu'il exercera au civil des soins de santé, il ne durement pas plus de 6 mois !


L’affirmation que les individus sont au-dessus des institutions. Celles-ci non seulement ont leur pesanteur sociologique, mais elles sont accaparées par les forts, les violents, les riches, par ceux qui détiennent le pouvoir sur les autres. L’auteur dénonce sans cesse le césaro-papisme qui, à partir de l’empereur Constantin, a tant dévoyé le christianisme.


Non seulement, il y a critique virulente des institutions existantes, mais désintéressement pour en créer de nouvelles afin de supplanter les anciennes. L’action individuelle est seule valable et c’est la prise de conscience des uns et des autres qui, progressivement et à terme changera le monde.


Ainsi que Jésus nous l’a enseigné, la foi chrétienne consiste à se mettre au service des autres en les aimant. Tout naturellement, le chrétien se retrouve du côté des plus pauvres et adhère à la théologie de la Libération. Aux riches, il convient de leur rappeler qu’il leur fait abandonner leurs privilèges.


Au programme aussi de cet anarchisme, un pacifisme absolu, avec un désarmement unilatéral à la clef et la conviction que les peuples sauront finalement imposer la paix à leurs dirigeants bellicistes. Jean-Jaurès est bien entendu, après Jésus, le héros de cette utopie.


L’anarchisme chrétien conduit à la liberté de penser, au respect des humanistes qu’ils soient croyants ou non croyants. Tout naturellement, il conduit à un christianisme de transgression fait de bon sens (pourquoi par exemple ne pas marier un couple sous le prétexte qu’un conjoint est catholique et l’autre, protestant), de rejet d’un intellectualisme qui justifie des concepts totalement abstraits, voire des « mystères », d’un dépassement des clivages hérités de l’histoire au nom d’un amour universel.


Tout naturellement, ces anarchistes rejoignent à leur façon la grande tradition unitarienne, non dogmatique et libérale. C’est en effet la seule tradition chrétienne qui, non seulement les accepte, mais qui les valorisent car – c’est Jésus qui, selon les évangélistes, le disait lui-même - que serait la foi si elle n’était plus le sel de la terre, le piment dans les repas, la lumière dans les ténèbres ?
* Voir notre Cahiers Michel Servet, n° 13, « Les inspirés pas toujours compris », paru en juin 2010, 34 p. (lien).


« Tous les chemins ne mènent pas à Rome », que ce soit d’ailleurs la Rome de l’Eglise catholique romaine qui s’imagine – s’illusionne – détenir seule la Vérité, ou bien celle du protestantisme calviniste à Genève (où l’auteur fit des études de théologie afin de devenir pasteur), ou encore celle des syndicats présidant dans les rues de grandes manifestations qui ressemblent somme toute à des offices religieux avec leur rituel – eux en étant bien sûr le clergé !


Inclassables, vous dis-je, ces anarchistes chrétiens !


Ndlr - Le livre d’Emile Mihière a aussi fait l’objet d’une brève recension par Vincens Hubac, pasteur ERF au Foyer de l’âme à Paris, dans la revue Evangile et Liberté, d’avril 2012, n° 258.

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