Les artistes proclament qu’ils ont besoin d’une liberté totale pour créer, mais les lois – par exemple en France – préservent le droit des personnes contre la calomnie, la médisance, la diffamation ; et condamnent la profanation des symboles (nationaux, religieux), des lieux de culte, des cimetières, des monuments historiques ou encore de bâtiments publics qui sont emblématiques pour la nation. Or, afin de créer le buzz, d’effectuer une percée médiatique, certains artistes ou humoristes ou publicitaires (les récentes affiches de Bennetton montrant des personnalités s’embrassant sur la bouche .. en signe de paix, bien entendu !) veulent franchir les lignes. Ils sont appuyés en cela par toute une frange de la population qui relativise les effractions, fait preuve d’un laxisme des plus total, se réjouit parfois de ce vent d’anarchisme, fait de la liberté d’expression un absolu, etc.
Les croyants parlent volontiers de blasphème lorsqu’ils ressentent que leur Dieu ou leur religion est attaqué. Ils ont le droit de le dire sur la voie publique par une manifestation – mais bien entendu sans violence, ni intrusion intempestive dans des locaux, ni attentat. Mais plus largement, et au niveau civique, il s’agit bien souvent d’un manque de respect – et ils doivent donc être protégés par la loi.
C’est en ce sens que nous avons ici critiqué la photographie « Piss-Christ » dont l’auteur faisait manifestement de la provocation en s’attaquant à un symbole chrétien (lien).
Pour la même raison, nous dénonçons la pièce de l’argentin Rodrigo Garcia « Golgota Picnic », car le Golgotha fut un lieu de crucifixion non seulement pour Jésus mais pour bien d’autres victimes. Rappelons que, en l’an 4 (ou après), pas moins de 2 000 Juifs furent ainsi suppliciés le long des chemins de la Galilée à la suite d’une révolte messianique. Selon les évangiles, Jésus fut lui-même crucifié avec deux autres « larrons ». Le titre de cette pièce de théâtre, d’emblée, est une dérision de ce lieu vénéré par les chrétiens.
* Voir la présentation de cette pièce par le journal La Croix, où il est dit que c’est « un grand fatras » (lien)
La scène se situe au Gogotha et se trouve bizarrement jonchée d'hamburgers en évocation de la multiplication des pains. Sur l'affiche du théâtre du Rond-Point qui, à Paris, va jouer la pièce, Jésus crucifié se trouve lui-même dans un hamberger ! Le spectacle y est annoncé comme "une épopée drôle, décalée et débordante" (fichtre !). Bref, on ne voit pas trop bien ce que l'auteur cherche à nous dire !
La dérision des lieux historiques de souffrance n’est pas admissible. Non seulement les chrétiens doivent protester, mais aussi les juifs puisqu’il s’agissait des leurs qui y ont souffert. Et pourquoi pas un Dachau-Picnic ou un Auschwitz-Picnic ; avec tous les anti-sémites qu’il y a dans nos sociétés, cela aurait assurément du succès ! Et pourquoi pas un Kerbala-Pinic, histoire de faire bouger les chi’ites qui commémorent chaque année cette défaite de 680 où Husayn, le fils cadet d’Ali et troisième imâm, trouva la mort. Ou encore, plus près de chez nous, un Verdun-Picnic en clin d'oeil humoristique aux Poilus qui sont désormais tous morts ?
Ce sont là des dérisions totalement gratuites, des attaques de symboles, que nous ne devons pas confondre avec des critiques des religions qui, elles, sont motivées par des évènements précis et qui relèvent de la liberté de penser. La différence est nette et, par exemple, nous avons soutenu le numéro de Charlie-Hebdo contre la charia car celle-ci est effectivement un système inacceptable pour tout Etat qui se veut démocratique et que des déclarations d’hommes politiques en Tunisie et en Libye venaient de la remettre sur le devant de l’actualité (lien). Dans ce cas là, l’humour satirique s’attaque à un système. Il en est de même lorsqu’on se moque du Vatican et des déclarations papales, ou d’autres systèmes religieux qui veulent régenter le monde.
Nous renvoyons dos-à-dos ceux qui hurlent au blasphème chaque fois que des gens extérieurs osent toucher à leur religion, et AUSSI ceux qui pensent devoir défendre inconditionnellement les artistes, les humoristes et les publicitaires à tout prix, sous le prétexte qu’il ne doit pas y avoir de censure. Que vaut en effet l'art du vivre ensemble sans le respect des croyances religieuses et philosophiques, sans le respect des patrimoines ethniques, sans le respect des minorités ? La laïcité ne doit-elle pas savoir gérer la bonne cohabitation entre les divers milieux convictionnels, en sachant désarmer les agressivités gratuites qui, naguère, menaient tout droit aux pogroms et aux guerres civiles.
Mais quelles limites fixer à ceux qui manquent manifestement de respect aux autres, et qui d’ailleurs s’en foutent complètement, qui en font même ouvertement un fonds de commerce, dans une société moderne qui a perdu bien de ses points de repère, qui peine à élaborer une nouvelle morale citoyenne, qui craint avant tout les abus de pouvoir et qui hésite à sanctionner les dérives ?
Sans un tel travail de redéfinition des valeurs, il y aura approfondissement de la crise morale et culturelle, voire anomie sociale, hétérogénéisation et mise en opposition des valeurs et finalement éclatement du lien sociétal, chacun faisant désormais ce qu’il lui plaît et se défendant comme il le peut avec des manifestations violentes, des recours aux avocats, ou autres actions en désespoir de cause. L'Etat protège-t-il encore ses citoyens ?