Comment ne pas se sentir solidaire des mouvements de protestations qui se font jour actuellement dans l'Église catholique à propos des nombreuses décisions autoritaires prises par l'institution. Celle-ci dans le passé s'est montrée incapable de préparer le peuple de Dieu à assumer les temps difficiles auxquels l'Église est affrontée aujourd'hui. Tant de questions ont été trop longtemps éludées.
Beaucoup d'interventions aujourd'hui sont justes et utiles. Mais elles sont faites de l'intérieur des milieux catholiques. Pour qu'elles soient encore plus efficaces, il faudrait qu'elles concernent un public ni seulement catholique, ni seulement enraciné dans certains courants sociopolitiques. C'est pourquoi j'ai cru que, en liaison fraternelle avec d'autres interventions, il serait bon d'adresser un semblable appel à un public plus vaste, celui du Monde, catholique ou non, car l'avenir de l'Église concerne tout homme. Il faut que ce mouvement d'inquiétude et de protestation puisse être le fait de tout homme, épris de liberté et de dignité ; car l'Église, indirectement, retentit sur tout le devenir social et culturel de mon pays, et bien au -delà.
Les Eglises ont toujours à se remettre en cause. Le passé du christianisme ne garantit en rien de l'avenir des Eglises. La foi en Jésus ne conduit pas à affirmer que l'Église catholique demain ne sera pas fort différente de celle d'hier.
Mon Église sera-t-elle capable de la mutation qui lui est nécessaire pour ne pas être condamnée à devenir seulement une secte enfermée sur elle-même sous le couvert de doctrines incompréhensibles pour la plupart des hommes, à s'enliser peu à peu dans la société des hommes, qui en viendront à l'ignorer, ou à ne voir en elle que du folklore ?
Ou encore mon Église se réduira-t-elle sans se l'avouer à n'être qu'une entreprise humanitaire à la remorque d'organisations qui, bien avant elle et souvent malgré elle, se sont efforcés de faire régner plus de justice dans le monde ? Elle en a certes la tentation en faveur des pays du tiers-monde, où elle espère trouver, à moindres frais doctrinaux un accueil plus favorable que celui des milieux plus cultivés de l'Occident. Trop souvent, des positions doctrinales ou des décisions pastorales de haut niveau viennent contredire, effectivement et pratiquement, quelques déclarations, ponctuelles et théoriques, de solidarité avec la cause des pauvres.
Ou encore se limitera-t-elle aux liturgies festives qui permettent aux individus de célébrer les grandes heures de la vie ? Se bornera-t-elle à jeter en pâture à la foule les réjouissances des pèlerinages et les kermesses des grands rassemblements ?
Faudra-t-il que mon Église ait à passer par une sorte de mort pour que, du milieu des ruines qui se seront accumulées au long d'un lent et continuel effondrement, jaillisse de nouveau une véritable source de vie ?
Tout porte à le craindre, quand on constate combien les autorités religieuses de mon Eglise ont peine à regarder la situation avec sérieux et réalisme, à reconnaître l'importance des causes qui sont à l'origine de la crise actuelle, et à tenir compte, à cet effet, des connaissances, des techniques et des conditions de vie nouvelles.
Avec quelle assurance, sans saisir leurs dimensions, ne tranche-t-elle pas de questions toujours plus complexes ! Avec quelle résolution, sous-tendue de violence, elle se refuse à faire confiance aux chrétiens qui cherchent à trouver des solutions à des problèmes radicalement nouveaux ! Avec quelle hauteur elle les traite lorsqu'ils n'acceptent pas de se laisser lier aux manières de penser et aux comportements de discipline du passé ! Quel gaspillage dans le rejet de tant de bons serviteurs qui comptent souvent parmi les meilleurs
Ce gaspillage conduit insensiblement et inéluctablement mon Eglise, malgré la présence en elle de quelques fortes et solides personnalités, à une médiocrité généralisée... Pour préparer l'avenir les autorités actuellement en place ne savent plus que se tourner vers le passé qui les a formées, qui les a promues, dont elles sont issues et qui les gardent prisonnières. C'est ainsi que meurent toutes les aristocraties !
Et par ailleurs, avec quelle facilité le peuple chrétien n'emboîte-t-il pas le pas à ceux qui le gouvernent, qui le rassurent en se rassurant eux-mêmes. Comme il fait de leur cécité et de leur optimisme l'occasion de l'exercice de sa foi et de son espérance !
Sans nul doute, plus ou moins rapidement dans les temps qui viendront, les croyants qui resteront chrétiens auront à vivre leur foi dans l'isolement. Dans cette situation de diaspora, puissent-ils à quelques-uns, se rencontrer en esprit et en vérité. Réunis au nom de Jésus, souffrant ensemble de voir dans quel état de pauvreté culturelle et spirituelle se trouve leur Eglise, sans désespérer, ils recevront de lui un avenir plus digne de l'Evangile.
Un nouveau regard sur l'avenir sera ainsi donné à ces êtres de foi et de fidélité pour qui Jésus cst le vivant qui a montré à tout homme le chrétien à découvrir pour s'accomplir dans son humanité. Et si, par malheur, mon Église, momifiée par un conservatisme matérialiste, manquait à sa mission, les réactions seraient tellement fortes que jamais ne s'évanouira la percussion spirituelle provoquée par Jésus. Non ! jamais ne passeront la présence active, le souvenir actif de Jésus.
texte reproduit dans le bulletin n° 234, juin 2010 Quelques nouvelles de la mouvance des Amis de Marcel Légaut (lien)