On le croyait éternel depuis si longtemps qu’il vitupérait contre nos engagements trop insuffisants à son goût, lui le prophète saisi par l’esprit de Jésus. A 94 ans, il avait atteint l’âge des cheveux blancs qui ne changent plus de couleur ; un peu voûté mais toujours droit, inflexible dans ses exigences ; toujours persuadé qu’il nous montrait le vrai chemin, qu’il fallait nous mobiliser en toute hâte. Il avait eu la douleur d’enterrer sa compagne et plusieurs de ses enfants. Et puis voilà que son ami et coreligionnaire, le pasteur Simon Sire, vient de m’annoncer, ce soir, qu’il n’était pas de l’éternité, mais bien humain comme tout un chacun.
Une voix s’est éteinte, et quelle voix ! Peu importe que l’on soit d’accord ou non avec ses analyses, avec ses textes, avec ses interventions ; c’était une voix ! Nous l’aimions y compris pour ce que l’on pouvait penser être parfois des excès. Nous l’aimions car la religion chrétienne s’éteint doucement avec nos prudences, nos contorsions d’intellectuels, nos lâches fuyances aussi et que l'on a besoin de prophètes comme lui.
Il ne fréquentait plus sa paroisse ne pouvant plus supporter le langage bigot et les proclamations dogmatiques et naïves, d’un autre temps, le rabâchage de vérités toute faites soit disant venues de Dieu lui-même alors qu’elles ne sont que des propos de clercs exerçant leur influence, leur pouvoir institutionnel ; ou encore – il me les avait montrées dans un petit temple le plus près de chez lui, celui de Rieubach, au sud du Mas d'Azil - les inscriptions murales peintes nous rappelant les versets fondamentaux dans la pure tradition fondamentaliste.
On l’aimait, bien qu'il se soit fait quelques ennemis avec sa façon de tout bousculer, aussi avec ses engagements courageux en faveur des musulmans d’Algérie réclamant leur indépendance, en faveur de l’islam trop souvent méconnu et diffamé, et d’une façon générale en faveur des exploités et des pauvres.
Il avait entrepris de sauver l’héritage chrétien en réécrivant les évangiles, en réactualisant la Bible comme il le proclamait. Il réunissait ses amis et sympathisants lors de stages annuels à son domicile, dans une maison bourgeoise à la campagne, au hameau de La Raynaude. Il voulait nous faire comprendre que le vrai message de Jésus avait été occulté depuis des siècles et des siècles et qu’il nous fallait désormais le redécouvrir dans toute sa brillance, de toute urgence car il s’agissait d’un trésor pouvant sauver notre avenir. Rude impatience, mais c’était pour nous qu’il se levait avec sa voix de prophète, comme un Jean Baptiste des temps modernes.
Il avait essayé un come back dans la commune ouvrière de Montreuil où il avait été pasteur et où de nombreux fidèles se souviennent encore de lui et lui témoignent leur affection. Il les avait réunis dans une chapelle catholique mis à sa disposition ... à l'écart du temple où les ouailles sont majoritairement de milieux bourgeois.
Récemment, il avait proposé de venir à Bordeaux, à l’occasion d’une réunion de synode régional et il avait proposé de faire une conférence en marge de cette rencontre, mais il ne donna pas suite à ce projet n’ayant pas reçu l’assurance d'un auditoire. Eh oui, surtout pas de vagues ... et Roger Parmentier, avec sa franchise habituelle, en faisait !
Il devait se rendre à Toulouse, au Vieux Temple, pour une conférence sur la source "Quelle", l'une de ses références favorites pour dénoncer la déviation du message de Jésus depuis. Il en avait averti notre ami unitarien Roger Gau, l'un de ses admirateurs qui se réjouissait de faire ainsi sa connaissance
Ce soir, je suis triste, d’une part parce que je l’avais plusieurs fois rencontré et apprécié, mais aussi parce qu’il nous faut des prophètes ; oui des prophètes qui, par définition, dérangent la tranquillité de leurs coreligionnaires et leurs compatriotes en s'adressant sans cesse à nos consciences ! Demain matin, je téléphonerai à son ami Emile Mihière, lui aussi pasteur ERF à la retraite, et nous partagerons notre tristesse. Et puis nous prendrons la route ensemble depuis Bordeaux pour aller à l'enterrement de Roger ...
Il s’était rapproché de notre mouvance unitarienne, d’une part parce qu’il pensait que Jésus n’était pas Dieu incarné, que le Jésus métaphysique était une pure invention des évangélistes et de Paul, mais aussi, je pense, parce que nous avions publié plusieurs de ses textes sans hésitation, au nom de cette liberté de penser que nous honorons car faisant partie du meilleur de l’humain. Au nom même de cette valeur nous lui avons ouvert nos colonnes sans que nous ayons à dire si nous étions ou non d’accord car, chez nous, chacun a le droit de s’exprimer dès lors que ce soit un cri sincère qui sorte des tripes, même si ce cri rompe le consensus car – pour nous – l’expression est individuelle et non communautaire. Mieux, ses textes étaient les bienvenus car toujours toniques ! Il restait malgré tout protestant d’abord, motivé à réformer son Eglise et la mentalité des siens, mais de plus en plus il s'adressait plus largement à tous ceux qui ont reçu le message de Jésus afin qu'ils le fassent fructifier et en appelait à la conscience de tout le monde.
Il aura bien entendu le droit aux sobres entrefilets des bulletins protestants, comme il est de coutume, mais, ici, chez les unitariens, c’est de l’expression de notre chagrin et d'un hommage dont il a pleinement le droit. Il a écrit de nombreux livres, nous continuerons à les lire et, j’en suis sûr, son souvenir restera longtemps parmi nous.
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