Les fidèles russes n’ont pas été sans réagir à la centralisation politique tsariste et ecclésiale par le patriarcat de Moscou de leur pays, et à la pression fiscale sur les milieux paysans par les grands propriétaires terriens. Voici une chronologie des mouvements qui ont été considérés comme hérétiques et en conséquence persécutés.
du milieu du XIVe (vers 1350) au début du XVe siècle, les Strigolniki refusent les hiérarchies ecclésiastiques, l'impôt religieux et le baptême de l'eau. Certains pensent qu’ils auraient été déjà judaïsants.
fin XVème, des Zhidovstvuyushchiye, chrétiens judaïsants *, sont à Novgorod et à Moscou à l’initiative de Skhariya (ou Zecharia) le Juif. L’un de ses adeptes, l'archiprêtre Aleksei, parvient même à convertir l'entourage d’Ivan III, grand-duc de Moscou. Cependant, bien qu'initialement tolérée, la secte est ensuite réprimée (Skhariya est exécuté en 1491 sur l’ordre du Grand-Duc). Le mouvement disparaît au début du XVI° s.
* " Ceux qui suivent les traditions juives ". La doctrine n'est connue que pas les textes de ses persécuteurs mais il semble bien qu’ils reprennent certaines pratiques juives et rejettent la divinité de Jésus. Cette judaïsation est tout à fait endogène et ne relève absolument pas d’un prosélytisme de rabbins juifs.
à la fin du XVIème siècle, durant le règne d'Ivan Le Terrible (1533-1584), Mathieu Simon Dalmatov, premier témoin de la foi moloque (la foi des molokanes, en anglais Molokan, du nom russe moloko qui désigne les "buveurs de lait" ; en Turquie ils sont appelés les moloques )* commence à évangéliser sa famille et son entourage dans la ville de Tambov. Puis il apporte sa nouvelle foi à Moscou où un groupe de voyageurs venant du nord-est de la Russie, et parmi eux des Mordves (un peuple établi à l'ouest de la Volga, qui occupe un territoire qui s'étend de l'Ukraine à l'Asie centrale) embrassent la nouvelle foi. Dalmatov fut ensuite martyrisé sur la roue dans la prison d'un monastère orthodoxe.
* ndrl - nous adoterons dans nos textes le nom "molokane" (lequel s'est internationalisé), comme appellation, et l'adjectif "moloque" : un ou des molokanes, mais la foi moloque, les chrétiens moloques.
Ces paysans chrétiens rejètent le pouvoir des grands propriétaires fonciers, l'Eglise orthodoxe, le culte des icônes et le baptême par l'eau. Ils boivent du lait lorsque les orthodoxes, eux, font leurs jeûnes (d’où leur appellation de " buveurs de lait " !). Ils revalorisent fortement l'Ancien testament et ses pratiques ; en particulier, ils ne mangent pas de porc, et suivent un régime alimentaire qui, s'inspirant du Lévitique, présente certaines ressemblances avec la cacheroute juive.
A la même époque, à la suite d’une histoire purement locale, les sabbatariens (chrétiens judaïsants qui pratiquent le sabbat) se multiplient chez les Sicules (en anglais = Szekler) de Transylvanie (en Hongrie historique), à la suite des enseignements du théologien chrétien hébraïsant Matthew Vehe-Glirius que l’évêque unitarien Ferencs David avait fait venir d’Heidleberg à Kolozsvar, en 1578, pour l’aider à critiquer la traduction latine de la Bible. Après la mort de F. David, en 1579, le mouvement fut organisé par un noble sicule, András Eössi, puis par Simon Péchi qui traduit en hongroise la littérature hébraïque. Ils commencèrent à être persécutés en 1595, trouvèrent refuge au sein de l’Eglise unitarienne de Transylvanie jusqu’en 1618, puis durent entrer en clandestinité ou se convertir à partir de 1638. Ils considérèrent le village de Bözödújfalu (malheureusement inondé par un lac artificiel durant le régime communiste de Ceausescu) comme leur Jérusalem.
au début du XVIIème siècle, la foi moloque se développe dans les pays de la Volta au sud-est de Moscou (voir carte ; leur présence au Caucase et en Sibérie fait suite à des déportations pour les autorités tsaristes).
La population totale des molokanes était de 91 500 habitants au recensement russe de 1909, dont plus de la moitié avait été exilée dans le Caucase et en Sibérie par les autorités tsaristes. Les molokanes ne sont plus que 50 000 aujourd'hui en Russie et Sibérie, dans le Caucase, et en Amérique du Nord.
en 1645, à l’initiative d’un paysan nommé Daniła Filippow,apparaissent les Khristoveri, les "croyants du Christ" (ou, en plus bref, les Khristi, les " christ ", mais ils seront appelés Khlysty ou " Flagellants " (khlyst, le fouet), parce qu’ils pratiquaient la flagellation après s’être livrés à la débauche afin de mieux bénéficier de la Rédemption ! Raspoutine, à un moment de sa vie, fut l’un des leurs. Ils étaient 2 000 membres en URSS.
en 1653, le patriarche de Moscou Nikon introduit de légères modifications dans le rituel pour se rapprocher de l’usage grec (signe de croix avec 3 doigts au lieu de 2, modification de la prononciation du nom de Jésus, révision des livres liturgiques, etc.). Bien que la Bible reste lue dans sa version en vieux slave, le slavon, et que ces changements soient purement rituels, ceux-ci rencontrent une vive opposition des milieux les plus traditionalistes avec à leur tête l’archiprêtre Avvakum. Ce seront les Vieux-Croyants. En 1666-1667, ils sont anathématisés lors de conciles ; Avvakum est mis sur le bûcher en 1682 (il est l’auteur d’une Autobiographie qui est un des chef d’œuvre de la prose russe).
Au XVIII° s. les Vieux-croyants sont des opposants farouches des mesures d’occidentalisation de Pierre le Grand (ils conservent le port de la barbe). La répression (de l’Eglise et de l’Etat) durera jusqu’à la fin des Tsars. Ce n’est qu’en 1905 qu’un Edit de tolérance leur accordera la liberté religieuse. Lors d’un récent concile, ils sont désormais réconciliés avec l’Eglise officielle.
en 1710, les vieux-croyants se scindent entre " presbytériens " et " sans prêtres "
en 1740, un sous-officier prussien introduit le mouvement quaker dans la région de Kharkov, en Ukraine (au nord-est du Dniepr). Ce sont les " chrétiens de la Fraternité universelle ", lesquels seront dirigés en 1769 par Sylvan Koleskinov . En 1785, l'archevêque orthodoxe russe Ambrosius les cite sous le nom de Doukhobors (les " lutteurs de l’Esprit ").
en 1765, La foi moloque se diffuse à l’instigation de Siméon Uklein, un tailleur ambulant de la province de Tambov. Les molokanes affirment leurs différences par rapport aux doukhobors (en partie en maintenant la révérence à la Bible). Leurs villages sont bien distinctes.
à l’extrême fin XVIIIème siècle, sous le règne de Catherine II de Russie, ou peut-être sous celui d’Alexandre Ier au début du XIXème siècle, réapparition de groupes judaïsants en milieu paysan avec les Subbotniks ou Subbotniki (= Sabbatariens). Les premières communautés se forlment dans la région de Voronej (selon l’archevêque de cette ville, la secte aurait été créée en 1796). Les rapports administratifs de 1811 les situent dans les gouvernorats de Voronej, de Toula et de Tambov, dans des régions où les moloques sont déjà présents. Ils adressent en 1817 une pétition aux autorités impériales pour se plaindre des persécutions qu’ils subissent.
Originellement chrétiens, mais revalorisant l'Ancien testament dans une attitude typiquement scripturaliste qui est celle des molokanes, ces judaïsants (hors de toute influence juive directe) en viennent à subordonner le Nouveau Testament à l’Ancien. Au cours du XIXème siècle, les relations se distendent d’avec le christianisme et beaucoup de groupes adhèrent au judaïsme orthodoxe et lisent désormais le Talmud. Ils sont fortement persécutés par le régime tsariste.
En 1833, le molokane Maxim Rudometkin fut considéré par les siens comme un prophète et fonda la secte des "cavaliers" (en anglais, Jumpers) appelée ainsi car les adeptes gesticulent comme s'ils chevauchaient un cheval jusqu’à entrer en extase. Il y a aussi les "sauteurs" (en anglais, Leapers) qui sont également du même style charismatique.
dans le courant du XIXe siècle, le gouvernement tsariste a souvent déporté les communautés moloques vers la Sibérie ou le Caucase, afin de limiter leur influence dans leurs régions d'origine.
dans la seconde moitié du XIXème siècle, des prêcheurs subbotniks influencent des molokanes d’où l’apparition de Molokan-subbotniks qui se considèrent désormais comme un groupe ethnique et religieux spécifique (Russes judaïsants). Une partie d’entre eux, les Gery *, émigrera plus tard en Palestine. * les Gery, ont adopté une identité totalement juive, bien que des conversions organisées par des religieux juifs ne semblent pas avoir eu lieu.
en 1884, le régime tsariste exile les doukhobors en Géorgie.
à partir de 1898, émigration de doukhobors au Canada (Saskatchewan, puis en Colombie britannique) avec l’aide de Léon Toltoï et de ses amis et des quakers anglo-saxons.
à la fin du XIXe siècle, une minorité de molokanes quittent eux aussi l’empire russe, généralement pour l'Amérique du nord (Canada inclus) ; quelques uns iront en Australie.
Sources :
Fils d’Abraham, panorama des communautés juives, chrétiennes et musulmanes par Joseph Longton, éditions Brepols 1987
Wikipedia, articles " Doukhobors ", " Moloques / Molokanes ", "Subbotniks".