LA JÉRUSALEM SICULE, par Géza SZÁVAI, essai-roman sur l’identité, publié par Pont ; traduit du hongrois en février 2011 par Georges Kassai et Gilles Bellamy, présentation du livre par l'éditeur.
En Transylvanie, pays à la tolérance légendaire où plusieurs nations coexistent depuis des siècles, une communauté hongroise s’est convertie au judaïsme vers la fin du XVIème siècle. Aucun lien de sang ne l’attachait aux Juifs, mais ceux-ci lui apparurent comme des frères spirituels. A la fin de la seconde guerre mondiale, cette communauté ne comptait plus que quelques rares familles. Certains s’étaient fait baptiser, d’autres avaient rejoint dans les camps de concentration et dans les fours crématoires ceux dont ils partageaient la foi.
Les documents historiques portant sur la rencontre ou la découverte mutuelle d’individus et de communautés nous réservent quelquefois bien des surprises. Croisades et guerres de religion appartiennent à un lointain passé, mais nous sommes restés sensibles à l’histoire des communautés spirituelles. L’histoire que relate le présent ouvrage constituera sans doute une révélation pour bien des lecteurs.
Au XVIème siècle, la quasi totalité [ndlr : plutôt une partie] de la population transylvaine embrassa la religion unitarienne. Gagnés par la fièvre de la Réforme, séduits par l’Ancien Testament, Simon Péchi et ses disciples allèrent jusqu’à adopter les rites de la religion juive. Dès lors, ils se considérèrent comme les frères spirituels des Juifs. Ainsi débuta l’incroyable histoire de ces hommes et de ces femmes du pays des Sicules qu’aucun lien de sang ne rattachait au peuple juif, mais qui devinrent « Juifs dans leur âme», l’historien György Bözödi commente en ces termes la quête spirituelle de ces judaïsants ou « sabbataires » (c’est ainsi qu’on les appelait en Transylvanie) (ndlr - on peut dire aussi sabbatariens) :
« Les dévastations perpétrées par les Tartares, l’invasion turque, comme plus tard les exactions des troupes allemandes, avaient éprouvé une population déjà minée par ses querelles intestines. La Bible lui apparut alors comme une sorte de Rédemption et le sort du peuple juif comme un miroir que lui tendait Dieu. Les Sicules [ndlr. du moins une partie] se reconnurent dans les souffrances, l’esclavage et les destructions que décrivent les livres des prophètes. Le visage qu’ils y découvrirent était celui d’un frère rencontré dans l’adversité. Ce frère, ils apprirent à l’aimer. Jamais, ils ne s’en écartèrent. Ensemble, ils traversèrent les épreuves. Ces Sicules préféraient donner leur vie plutôt que de renoncer à la paix de leur âme. ».
En quelques années, la foi de ces « Sicules judaïsants » se répandit sur tout le territoire de la Transylvanie, mais leur religion ne fut jamais reconnue officiellement. Les sabbatariens furent persécutés pendant des siècles. Lorsque, à la fin du 19ème siècle, ils purent enfin jouir de la liberté des cultes, il n’en subsistait plus que quelques rares familles, dans deux villages. Dans la quatrième décennie du XXème siècle, on ne trouvait plus que quelques survivants à Bözödújfalu, surnommée la « Jérusalem sicule ». En 1936, après son passage dans ce village, György Bözödi écrivait : « Bözödújfalu est la Jérusalem des Juifs sicules. Avec toutefois une différence : l’ennemi n’a jamais pu détruire cette Jérusalem-là, le seule village où survit cette religion ancestrale. ». Peu après, les lois anti-juives entrèrent en vigueur...
Frappés par un fléau semblable à ceux décrits par l’Ancien Testament, les Sicules judaïsants n’étaient plus représentés dans les années 80 que par quelques vieilles femmes. Un peu plus tard, Bözödújfalu allait être la victime de la politique de Ceaucescu visant à détruire systématiquement les villages de Roumanie. Si en 1936, avec cette fierté propre à son peuple, György Bözödi pouvait encore affirmer que l’ennemi n’avait jamais réussi à détruire cette Jérusalem-là, en 1989, il n’en restait plus rien, les autorités roumaines ayant ordonné que le village fût englouti au fond d’un lac. Une délégation s’était rendu à Bucarest pour supplier le dictateur de revenir sur sa décision. En vain. La population fut évacuée. Les indemnités qui lui furent attribuées ne représentaient qu’une infime fraction de la valeur des maisons qu’elle avait dû abandonner.
Il leur fallait tout recommencer. Mais où ? Et comment ? La plupart des sabbataires se rendirent à Erdöszentgyörgy, le bourg le plus proche, où ils s’entassèrent dans les garçonnières de deux barres d’immeubles. Mais au moins étaient-ils près de Bözödújfalu. Ironie du sort : le surnom de « ghetto » qu’avaient préalablement reçu ces immeubles fut bientôt adopté par ces nouveaux occupants... Pourquoi fallait-il construire ce barrage et engloutir le village ? Nul ne le sait. Le barrage n’a jamais été mis en service. Une fois par an, les locataires du «Ghetto » (rejoints par ceux établis dans des localités plus éloignées) se retrouvent au bord du lac. Une fois par an, ils ont l’illusion de revivre l’histoire de la Jérusalem sicule.
Une histoire quatre fois séculaire, unique dans l’Histoire universelle, si, toutefois, il est permis de replacer dans celle-ci l’histoire de cette communauté de plus en plus squelettique. Certes, les «juifs dans l’âme » de la terre des Sicules qui, inspirés par la Bible, ont découvert une nouvelle voie menant à Dieu, n’ont jamais exercé une quelconque influence sur le cours de l’Histoire, mais leur rôle dans celle des idées (et de l’esprit, de la pensée et de la logique) n’est pas négligeable. Leur foi ne s’est pas répandue dans le monde. Celui-ci s’en est-il trouvé appauvri ? La question mérite d’être posée. « Cette conversion spirituelle et religieuse est unique dans l’histoire des religions chrétiennes » écrit un chercheur. Sans doute, la volumineuse littérature traitant de cette question s’enrichira-t-elle encore de nombreuses études savantes.
Le présent ouvrage n’est pas l’oeuvre d’un historien. Mais dans le style des grands narrateurs transylvains, ce livre présente des problèmes communes pour tout citoyen européen, ce qui soutient que le livre soit traduit en français.
Ajout du 23 mai 2012 : l'Institut hongrois de Paris (92, rue Bonaparte 75006 Paris), organise une soirée le 1er juin à 19h pour présenter ce livre.