FEMMES ARABES … DES CITOYENNETES DISCRIMINATOIRES, par Sana Ben Achour, juriste, féministe, professeur d’université (FSJPS), Tunis, le 6 juillet 2011
Présentation de l'auteur sur le site "Au féminin.com" à l'occasion du vote pour "la femme en or 2011" ( lien) :
Maître de Conférences agrégée en droit public, elle assure la présidence et milite au sein de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates. Elle est titulaire d'un DEA urbanisme et aménagement et est Docteur agrégée en droit d'Etat. Ses contributions à la vie universitaire couvrent le droit du patrimoine culturel immobilier, la condition juridique des femmes en pays d'islam, les libertés publiques dans l'aire maghrébine,
Quelle place occuperont les femmes dans des pays qu’ont soulevés des révolutions populaires, massives, imprévisibles, jeunes, mixtes et ouvertes sur le monde ? Du Maghreb au Machrek, les femmes, prenant leur destin en main, ont marché sur les capitales, protesté sur la toile, occupé durant des jours et des nuits les places publiques, réussi à mettre à bas les dictatures ou à nu leur système de gouvernement absolutiste. Du Maghreb au Machrek, d’une seule voix, les manifestantes et manifestants ont réclamé « justice sociale », « liberté », « dignité » et « réformes démocratiques ». Qu’advient-il aujourd’hui, en cette phase post révolutionnaire, de ces «émotions » populaires ?
En Tunisie, les femmes, portées par l’élan de solidarité révolutionnaire se sont très vite mobilisées pour réclamer dans une marche unitaire entre ONG féministes (ATFD-AFTURD, CME95) et de défense des droits humains (LTDH) et des travailleurs (UGTT) « égalité, citoyenneté et dignité ». Certains provocateurs n’ont pas manqué de leur rétorquer de retourner à leurs cuisines.
En Egypte, les femmes, présentes quotidiennement sur la place Tahrir se sont battues 18 jours durant pour vaincre un régime corrompu dont, à l’égal des hommes, elles ne voulaient plus. Les militaires n’ont pas manqué d’en « ramasser » quelques unes pour leur faire subir des tests de virginité.
En Lybie les femmes sont descendues dans la rue pour dénoncer les abus de Khaddafi. Elles se sont heurtées au crime sexuel.
Au Bahrein, sur la place Lu’lu’a, ou ailleurs à Manama, des milliers de femmes ont participé à la contestation mais ont été « reléguées en marge, contraintes de rejoindre un coin spécifique ou de se regrouper à l’arrière ».
Au Yémen, les femmes sont descendues, par milliers aux cotés des hommes, dans les rues de Sanaa, Aden et Taez pour combattre un régime exercé sans partage depuis trente ans et qui n’a pas hésité à les « disqualifier », sous prétexte que la "mixité est illégale entre les sexes".
En Syrie, au «vendredi saint», à celui «de la colère», puis à celui «du défi», succède la journée du 16 avril 2011, baptisée le «vendredi des femmes libres». Le 13 mai, les femmes reconduisent leur action. Mais la répression faisant 1000 morts et 9000 blessés, les contraint aujourd’hui à l’exil.
Que de figures de femmes révèlent en réalité les révolutions arabes ! Femmes anonymes ou emblématiques, mère courage ou jeunes bloggeuses sur la toile, opposantes de longue date ou fraîchement venues à la politique, toutes réclament leurs droits à exister, à être là et à s’exprimer. Qui aujourd’hui parle de leurs combats pour la dignité humaine, les droits, la citoyenneté et la démocratie ?
Saana Benachour / Sana Ben Achour
Il est évident que ces révolutions en marche bousculent les certitudes et les lectures formatées. Le déferlement des revendications démocratiques invite à revisiter le paradigme de «l’exceptionnalité arabe » et la peur des «classes dangereuses ». Sur les femmes en particulier, les régimes autoritaires, issus des mouvements de libération nationale, ont maintenu une action tutélaire. Si des avancées constitutionnelles ou législatives ont été réalisées, si des « féminismes d’Etat » se sont installées, si des codes de la famille ont fleuri aboutissant un peu partout au réaménagement du droit traditionnel du statut personnel musulman, l’enjeu a été pour les gouvernants en place de rester maître de l’arbitrage entre d’une part les principes d’organisation identitaire de la société et de la famille patriarcale (le nom patronymique, l’autorité du chef de famille, les interdits au mariage libre, les empêchements à succession) et d’autre part les revendications d’émancipation et d’égalité de sociétés en mouvement. C’est justement ce qui explique l’ambivalence de tout le dispositif constitutionnel et législatif des pays arabes et son oscillation entre esprit de conservation et esprit d’innovation.
En réalité, derrière ces politiques législatives, ce qui est en jeu, c’est moins le pouvoir de réformer le droit traditionnel, voire de le transgresser par de multiples ruses et subterfuges que de conserver l’initiative des lois entre les mains de gouvernants où la remise en cause de l’asymétrie et de l’inégalité traditionnelle entre droits des femmes et droits des hommes est une menace à l’ordre public établi. C’est justement cette asymétrie que les pouvoirs en place arbitrent et réactualisent en permanence en accordant certes, des droits voire des garanties judiciaires aux femmes sans jamais perdre de vue la prééminence des hommes sur elles.
On comprend dans ces conditions l’importance accordée aux réformes constitutionnelles et institutionnelles en cours. Sauront-elles aller au bout des promesses démocratiques et rompre avec cette citoyenneté discriminatoire qui prescrit aux femmes arabes d’être des citoyennes de 2ème classe. Sauront-elles par exemple, donner valeur constitutionnelle au principe de non discrimination entre les sexes et en faire le socle de valeur intangible et supérieur sur lequel sera édifié l’Etat de droit démocratique et pour lequel les femmes comme les hommes, en se battant contre l’humiliation de la dictature, ont donné leur vie. Sauront-elles rendre hommage à l’identité culturelle maghrébine, arabe et musulmane du pays tout en assurant qu’il ne sera tiré de ces références aucune mesure discriminatoire en raison du sexe, de la naissance, de la couleur, des convictions, etc.
Aujourd’hui comme hier, les accusations sont nombreuses contre ceux et celles qui revendiquent la laïcité, entendue par appropriation comme la séparation du politique et du religieux. Ce discours s’est réactivé, il y a des décennies, à la faveur de la révolution islamique iranienne (1979) et des mouvements identitaires ravivés dans la région par la guerre du Golfe. Il s’alimente depuis des diverses frustrations collectives tant en raison de la longévité de régimes .autoritaires, de la faillite de la société internationale dans le règlement de la question palestinienne et de l’occupation américaine de l’Irak que des politiques communautaires européennes sur l’immigration, le voile, les jeunes des banlieues, les minarets, etc. Dans ce contexte de tensions, marqué au niveau des relations internationales par la mondialisation économique sauvage mais aussi par la fermeture des frontières à la circulation des personnes, et au plan interne par le désenchantement national et la crise de l’Etat nation post-colonial, les critiques de la laïcité en pays d’islam se sont axées sur sa « vision exogène », voire « son mimétisme du modèle occidental ».
En réalité, la revendication de laïcité n’est rien moins que la contestation de la sanctification religieuse de l’ordre légal discriminatoire de la famille patriarcale. Elle porte sur le statut inférieur que les lois positives du statut personnel (les codes de la famille) et les constitutions politiques modernes des ordres étatiques réservent aux femmes, au nom de « l’islam religion d’Etat » ou de la chariâ ou du fiqh comme source exclusive, principale ou subsidiaire de législation. Dans les pays arabes et musulmans, s’est construit autour des femmes et d’elles principalement, un système de normativité et d’interprétation où la loi de l’Etat (la loi positive) semble n’avoir toujours qu’une existence subordonnée et menacée tant qu’elle n’est pas conforme au bloc religieux ( fiqh et shariâ). Au delà des variantes constitutionnelles et des avancées sociales entre les pays (la scolarisation, l’accès au travail salarié, la baisse de la fécondité, l’accès à la santé), la constante est que les lois positives ont légalisé l’islam en identité politique, le commandement politique en lois charaïques, le mariage en endogamie religieuse et la famille en citadelle de la domination masculine. Les lois de la famille scellent en effet le lien entre ces trois ordres du patriarcat : le religieux, le politique et la famille. Toutes ont fini par poser les femmes en matrice et gardienne de l’identité politique nationale arabo-musulmane et la famille patriarcale en sa cellule de base.
ndlr - nous remercions Michel Roussel, militant chrétien de l'association David et Jonathan, de nous avoir transmis ce texte